Les bactéries intestinales peuvent inhiber l'action des médicaments anti-cancéreux.
La présence de bactéries ou d'enzymes particulières pourrait expliquer pourquoi certains traitements sont inefficaces pour certaines personnes.
Dans la quête de thérapies personnalisées , la plupart des recherches ont porté sur la façon dont le génome d'un individu contrôle les réponses de son corps aux médicaments. Cependant, il existe de plus en plus de preuves que le microbiote unique d'une personne - la population de bactéries et autres micro-organismes
vivant dans son corps - peut être essentiel pour déterminer si un médicament est efficace ou non sur son état de santé.
Les chercheurs ont maintenant la preuve que les personnes en bonne santé métabolisent certains médicaments de différentes façons en fonction de leur "équipement" microbien. Ils ont présenté leurs données le 4 juin à la réunion de l'American Society for Microbiology à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane.
Les bactéries qui vivent dans le corps humain "consomment" les nutriments qui leur parviennent, qu'ils proviennent de l'alimentation de l'hôte ou d'un médicament que la personne prend. Or cette adaptabilité alimentaire des bactéries peut devenir problématique si elles métabolisent un médicament en composés inutiles voir toxiques.
La biologiste Leah Guthrie du Collège Albert Einstein de New York City a étudié les données d'un médicament chimiothérapeutique appelé irinotecan, qui provoque une diarrhée sévère chez certains patients. Une précédente recherche chez la souris a révélé que les enzymes bactériennes appelées β-glucuronidases peuvent modifier la structure chimique de l'irinotécan et d'autres médicaments ( BD Wallace et al. Science330, 831-835; 2010 ). Normalement, le foie détoxique ces traitements en ajoutant un groupe chimique appelé glucuronidate. Mais ces enzymes bactériennes élimine ce groupe, transformant le médicament en un composé toxique.
Pour voir si le microbiote d'une personne a influencé la façon dont elle a métabolisé les médicaments, Guthrie et ses collègues ont recueilli des échantillons de matières fécales provenant de 20 personnes en bonne santé. Ils ont traité les échantillons avec de l'irinotecan et identifié les composés produits par les bactéries lorsqu'elles ont interagit avec le médicament. L'équipe a constaté que 4 des échantillons présentaient des niveaux élevés de la forme toxique de l'irinotecan, mais n'ont trouvé aucune différence significative entre les espèces bactériennes présentes dans les échantillons.
Lorsque les chercheurs ont analysé les protéines produites dans les échantillons de matières fécales, ils ont constaté que ceux des personnes ayant des métabolismes bactériens élevés présentaient des souches produisant plus de β-glucuronidases. Ces personnes avaient également des niveaux plus élevés de protéines qui transportent le sucre dans les cellules, ce qui suggère qu'elles seraient plus susceptibles d'absorber le composé toxique et de développer des problèmes gastro-intestinaux.
Le chef de l'étude, Libusha Kelly, un microbiologiste du Collège Albert Einstein de médecine affirme que les chercheurs envisagent maintenant de recueillir des échantillons de personnes atteintes de cancer qui prennent de l'irinotecan, pour voir si les précédents résultats sont confirmés.
C'est une belle étape pour comprendre comment les enzymes intestinales interagissent avec les médicaments, explique Matthew Redinbo, biologiste structurel de l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, qui étudie également l'irinotecan. Il déclare : "La meilleure manière de le comprendre est d'étudier les enzymes intestinales de la même manière que les enzymes humaines".
Redinbo dit que le foie "traite" de nombreux médicaments en utilisant ce groupe chimique (glucuronidate) qui, par la suite, est éliminé par les β-glucuronidases bactériennes: cela suggère que les "actions" du microbiote pourraient avoir un rôle et un impact très important. Son travail chez la souris a révélé que certaines β-glucuronidases apportent des modifications similaires aux médicaments anti-inflammatoires, dont l'ibuprofène, ce qui peut provoquer une toxicité intestinale lorsqu'ils sont administrés sur de longues périodes. ( A. LoGuidice et al., J. Pharmacol. Exp. Ther. 341, 447-454; 2012 ).
"Les chercheurs ont identifié des dizaines d'exemples de bactéries intestinales qui semblent modifier les traitements thérapeutiques, y compris certains de ceux qui sont utilisés pour la maladie de Parkinson et l'anxiété", affirme Emily Balskus, une biochimiste de l'Université de Harvard à Cambridge (Massachusetts). Elle dit que les "interférences" bactériennes pourraient également aider à expliquer pourquoi les modèles animaux ne prédisent pas toujours la toxicité du médicament chez les humains, car les animaux possèdent des microbiotes différents.
Mais beaucoup de questions demeurent. Peu d'enzymes responsables de la transformation de ces médicaments ont été identifiés, et on ne sait pas de quelles manières les populations bactériennes intestinales varient dans la population humaine.
Un article publié le 2 juin dans Science , par exemple, a révélé que le médicament utilisé contre le VIH, le ténofovir appliqué sur les parois vaginales sous forme de gel, était inefficace chez les femmes dont le vagin abritait une sorte de bactérie appelée Gardnerella ( NR Klatt et al. Science 356, 938-945; 2017 ). Les bactéries ont rapidement "brisé" le médicament en un composé inactif, mais les scientifiques ne savent pas encore quel en est le processus, ou si il peut être arrêté.
Finalement, dit Balskus, les cliniciens pourraient faire un prélèvement des microbiotes des patients pour déterminer l'efficacité de tel ou tel médicament. Si leurs microbiotes intestinaux se révélaient "problématiques", les médecins pourraient prescrire un inhibiteur enzymatique ou leur conseiller un régime alimentaire qui fournirait aux bactéries d'autres sources de nutriments. Les études mettant en oeuvre un changement alimentaire chez la souris ont montré un certain succès en empêchant les bactéries intestinales de dégrader un médicament cardiaque appelé digoxine ( HJ Haiser et al. Science 341, 295-298; 2013 ).
image : le quotidien du médecin
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